L’Amazonie ne craint pas l’adversité. Ce fleuve interminable aux 1001 et uns virages ne pêche pas par manque d’ambition : il fend tout un continent de part en part. Rien que ça. Du Pacifique à l’Atlantique. Mais il le fait comme ça, sans se vanter de son exploit. Regardez une carte, il aurait pourtant de quoi se la jouer un peu. Large par moment comme trois terrains de foot, abritant plus d’êtres vivants au mètre carré que la France entière, mère nourricière d’une jungle aussi vaste que cinq pays réunis.
Et moi, petit être humain… Là, face à ce colosse naturel. L’Amazonie était condamnée à rester dans mon imaginaire d’enfant, souvenir d’un regard ébahi devant un livre d’images consacré à la deuxième plus grande forêt du monde. Tout juste survolé par un documentaire d’Arte. Peu importe les expéditions scientifiques ou les touristes-tours organisés pour percer à jour ses secrets, nul ne peut connaitre chaque recoin de son royaume. Voilà une certitude évidente et instinctive.
L’Amazonie, sanctuaire anti Homo Sapiens
Plus que de la pudeur, cette grande Dame amazonienne respire un goût prononcé pour l’anonymat. Elle est une société clandestine liée par un pacte de sang signé par toutes les œuvres de la nature (végétales et animales). Un but unique : se constituer un sanctuaire vierge, interdit à l’Homo Sapiens envahisseur. Les raisons de lui en vouloir ne manquent pas. A lui seul, il est responsable de l’anéantissement de 17% de la surface de la forêt Amazonienne.
Comprenez qu’en face, ils s’organisent. Il n’y aura pas d’autre avertissement, vous le bipède, vous n’êtes pas le bienvenu ici. Tout le monde parait s’être donné le mot. Les plantes chuchotent, les feuilles bruissent, le message est passé. Chacun s’y met à fond pour barrer la route à l’être humain. Les arbres se chargent de couvrir la voie aérienne de leurs gigantesques branches protectrices, les piranhas, les alligators veillent à ce que personne ne s’aventure par les eaux, la terre, elle, n’en est pas moins mal gardée : serpents, mygales et lianes en tout genre se chargent d’assurer la sécurité. L’hostilité est perceptible partout, à toutes les échelles : de la fourmi tueuse minuscule à l’anaconda monstrueux.
Comment penser que l’Humain a sa place ici ?
Comment rester insensible face à l’infinie patience de cette jungle luxuriante, sans fin. Elle s’est constituée pas à pas, précautionneusement, lentement pendant des millénaires, à l’abri des regards. Elle s’est forgée un écosystème parfait, auto-suffisant. Ici, le cours de biologie n’a plus le caractère abstrait qui ennuyait tant au lycée. La photosynthèse, la décomposition, la chaîne alimentaire opèrent en direct, presque visibles à l’œil nu. Il semble que des engrenages s’emboîtent parfaitement dans un gigantesque mécanisme d’ensemble parfaitement rôdé. Rien ne se perd, tout se recycle. feuilles mortes, troncs arrachés, carcasses d’animaux, fruits pourris : chaque habitant de la forêt y trouve son compte.
La vie foisonne ici, vos cinq sens ne sont plus en éveil, ils sont débordés. Les singes sautent de branche en branche, les paresseux grignotent nonchalamment leurs feuilles, les oiseaux pêchent en piqué, les fourmis infatigables, tentent (sans succès) de se tuer à la tâche, les crapauds croissent, les grillons chantent, les lucioles brillent.
On croirait lire une comptine pour enfants, c’est pourtant le spectacle quotidien et incessant de cet univers poisseux et grouillant.