La baie de Rio de Janeiro (Rivière de Janvier en VF) s’ouvre sur l’océan Atlantique comme une promesse, une promesse de rêves éveillés, de visions embrumées, de folies à accomplir. Une promesse qui peut prendre différentes allures : Rio la délicieuse, Rio la dégueulasse, Rio la faiseuse de rêves, Rio l’opulente, Rio l’hyper violente… Comme sa consœur Sao Paolo, elle ne préserve rien ni personne : elle se fiche bien de votre existence. Vous n’êtes qu’une poussière supplémentaire parmi ses 6 millions d’âmes, deux tongs de plus sur son bitume.
Elle est comme un phare, gardienne insouciante du continent. Marins en perdition, voyageurs en quête d’évasion, familles en recomposition, Rio accueille sans distinction. Quitte à ce que ses nouveaux arrivants s’y brûlent les ailes. Et ils sont nombreux. Car les lumières de la ville brillent sur tout le continent et au-delà des océans depuis des siècles. Elle sème des rêves de gloire, de fortune, d’exotisme dans la tête des marins, des aventuriers et des entrepreneurs. La plupart n’y récolte que la ruine, la folie et la mort.
Rio de Janeiro, joyeuse indisciplinée
Car Rio déroute, Rio dérange. Rio ne s’attache à aucun dogme, aucune de ses règles n’est définitivement figée. Rio c’est une ado en fugue qui envoie chier la famille et le système. Elle révolutionne l’architecture, se fout des « normes » sexuelles en vigueur ailleurs, envoie bouler les règles d’urbanisme, peint ses murs de millions de graffitis, redéfinit la conception des critères d’une danse endiablée, brûle les préjugés qui lui collent à la peau le matin, les confirme le soir même. Rio est un joyeux bordel indéchiffrable dont personne ne s’est jamais donné la peine d’en fixer les limites.
Même sa géographie parait se foutre de tout. Une baie gigantesque vêtue de plages paradisiaques surmontées de montagnes verdoyantes et au beau milieu de la ville, une lagune. Quelle entité supérieure a pu décider d’une telle configuration ? C’est ce qui rend Rio unique dès le premier coup d’œil.
Rio de Janeiro l’obstinée
Ah oui, elle se fout aussi de l’épaisseur des portefeuilles. Elle place qui elle veut où elle veut. Les panoramas les plus exceptionnels sur la baie sont toujours visibles du haut des favelas et non pas de la terrasse d’un palace cinq étoiles de Copacabana. D’ailleurs les quartiers riches ne sont pas au sommet des collines mais bien à leurs pieds. Les taudis surpeuplés gardés par des guetteurs, talkie-walkie à la main, côtoient les piscines privées et les jardins des maisons de luxe.
Rio aime se rire de tout et de tous. Elle s’amuse à dépouiller le touriste, à inquiéter ceux de passage, à rendre fou les promoteurs immobiliers et leurs projets délirants. Pourtant, parfois, elle doit se faire une raison et céder un peu de terrain aux réalistes, aux cupides, aux businessmen aux yeux avides. La Coupe du Monde 2014 ou les Jeux Olympiques 2016 en tête. Alors, les prix des transports en commun, des sandwichs, du Coca augmentent. Les flics sont envoyés dans les favelas, les habitants des quartiers pauvres sont délogés, les touristes débarquent par troupeaux.
Alors elle sert les dents, elle attend que les stades se vident, que les athlètes repartent et que la flamme olympique s’éteigne. Ensuite elle pourra se figer de nouveau en sphinx rêveur, un peu plus balafrée certes, mais à peine éraflée. Rio la diablesse en a vu d’autres.