S’extasier devant Santiago n’est pas simple. Ses immeubles impersonnels, son hyperactivité et son smog de pollution qui voile même les Andes situées à quelques kilomètres vous en dissuadent très vite. Débarquer dans la capitale Chilienne et s’attendre à trouver Rio, Londres ou Paris est une grossière erreur. Ici pas de Corcovado, de Piccadilly Circus ou de Champs Elysées. Non, Santiago ne se laisse pas aussi facilement savourer.
Il va falloir respirer quelques bouffées de pots d’échappement pour se laisser traverser par son atmosphère. Tenter de déchiffrer les interpellations des vendeurs à la sauvette, se faufiler dans le marché de la Vega, observer des gamins se marrer ou se bagarrer dans les parcs, s’imbiber de Pisco Sour (LE cocktail national à base de blanc d’oeuf et de citron) une nuit entière dans le quartier de Bellavista, suer sur la pente des cerros Santa Lucia ou San Cristobald ou applaudir des musiciens de rue. Là, Santiago commence à prendre sens.
Santiago, théâtre de toutes les batailles
Cette ville en a vu des manifs, des contre-manifs, des joies, des drames… Et ce n’est qu’à travers ces rencontres, ces découvertes et ces émerveillements que l’on peut espérer percevoir les récits de son existence. Santiago, c’est un peu les archives nationales du pays à grande échelle. Les témoignages de l’Histoire avec un grand H est là, nette ou invisible, palpable ou inaccessible, il suffit d’ouvrir l’œil.
La période pré-colombienne ? Plutôt invisible. Seul un musée rend hommage à cette période.
La colonisation espagnole ? Facile. Les maisons de style colonial avec leurs arcades et leurs balcons ne manquent pas. L’indépendance ? Impossible de passer à côté : les statues, les rues, les hommages à Bernardo O’Higgins, héros de la guerre de libération et premier président du Chili sont omniprésents.
La dictature ? … Palpable et inaccessible.
Allende puis Pinochet : l’histoire mise au pas
C’était une histoire bien écrite. Une histoire de déshérités qui gagnent contre les méchants-riches-voleurs. Le tout démocratiquement, pacifiquement, courageusement. Mais une histoire qui se casse la gueule. Que l’on me pardonne de m’y attarder. Le palais présidentiel de la Moneda est le décor principal tout trouvé pour conter cette tragédie en trois actes.
Acte I : le 3 novembre 1970, Salvador Allende se présente au balcon du bâtiment, il vient d’être élu d’une courte tête président de la République et est acclamé par une foule immense. Soutenu par une alliance populaire de toutes les gauches, il s’est fait élire sur la promesse de nationaliser les grands secteurs économiques du pays, de réduire les inégalités, de faire entrer les ouvriers au capital de leurs entreprises et de mettre fin aux grandes exploitations terriennes. Bref, il se revendique marxiste-socialiste : un rouge, un vrai. Ce n’est pas Staline non plus.
Acte II : le 11 septembre 1973, l’armée, emmenée par le général Augusto Pinochet (ce monsieur à la tête de psychopathe), soutenu en sous main par le Pentagone, par la bourgeoisie et par une opposition de droite (majoritaire) ulcérée par les réformes d’Allende déclenche un coup d’Etat. Et l’armée n’est pas du genre tatillonne. Elle bombarde le palais présidentiel. Les militaires lancent un ultimatum au président : rendez vous ou c’est la mort. Allende, lui, n’est pas du genre à abandonner. Il choisit donc de faire ses adieux en direct à la radio avec le discours politique le plus incroyable, le plus poignant et le plus digne jamais improvisé. (A écouter en vostfr ci-dessous).
Acte III : le 5 octobre 1988, le Chili vote à 55% « No ! » contre la prolongation du pouvoir du général Pinochet, et ce, malgré une vidéo de campagne kitsch au possible. La place qui fait face au palais présidentiel est noire de monde, des étudiants, des ouvriers, des retraités s’embrassent, chantent, dansent. Cette transition démocratique met fin à 15 ans de dictature.
Et aujourd’hui ?
La page de la dictature semble tournée. Pour preuve, Michelle Bachelet, l’actuelle présidente du Chili (Centre-gauche) est la petite fille d’un officier militaire assassiné par Pinochet, le musée de la Memoria, consacré à l’histoire du coup d’Etat et de la dictature est érigé au cœur même de Santiago sous l’enseigne « Nunca Mas » (« plus jamais »), des instructions judiciaires ont été ouvertes sur les crimes commis par le régime militaire et la presse continue de révéler les coups les plus tordus commis pendant la dictature.
Pourtant, le pays reste profondément divisé sur l’héritage laissé par l’ancien dictateur mort en 2006, enterré avec les honneurs militaires sans jamais avoir connu de procès. La constitution chilienne est toujours celle votée par le régime en 1980 (bien qu’une nouvelle réforme constitutionnelle est en cours) et une loi d’amnistie votée en 1978 par les militaires eux mêmes est elle aussi toujours en vigueur, rendant plus difficile encore le travail des juges.
Reste que les chiliens peuvent désormais manifester sans se faire assassiner et chanter sans se faire couper les mains.
Se balader à Santiago aujourd’hui permet de constater que l’Histoire s’est tout de même refixée la mâchoire.
Vous pouvez bien sûr retrouver toutes nos photos de Santiago sur la page Facebook d’Eldoradonews.
Pour ceux qui sont intéressés par l’histoire de la dictature Chilienne, je conseille le très bon documentaire en trois parties de Patricio Guzman, La Bataille du Chili, disponible gratos sur Youtube. Le voici. Bon visionnage !