Le cerro rico (la montagne riche) apparaît comme par miracle à la sortie de virages interminables sur une route inégale. A ses pieds s’étale Potosi, 4090 mètres d’altitude et 100 000 habitants qui ont du souffle. Dans sa catégorie, elle est la ville la plus haute du monde. Ruelles pavées ou en terre battue, immeubles aux briques apparentes, chiens errants, bicoques de mineurs et bâtiments coloniaux s’entassent à l’ombre de cette montagne, sa bienfaitrice et calamité. Elle a tout donné à cette cité… Avant de tout reprendre.
Au XVII ème siècle, Potosi comporte 165 000 habitants, soit autant que Paris ou Londres à la même époque ! Et tout ça grâce à cette montagne et à ses gisements d’argent. Mais à quel prix elle a payé sa grandeur… Les indigènes y ont péri par millions sous la colonisation espagnole. Les colons les ont réduit à l’esclavage, les faisant parfois travailler 48 heures de suite. Leur seule nourriture ? Des feuilles de coca à mâcher qu’ils devaient acheter à leurs tortionnaires !
L’Eldorado maudit
Cette seule montagne a permis de financer l’Europe entière : ses belles avenues, ses infrastructures, ses monuments, ses moyens de transport, son industrie, tout. Cette Histoire là n’est pas au programme de troisième de l’éducation nationale. Entre le XVI ème et le XIX ème siècle, l’équivalent de 50 milliards de dollars sont importées en Europe des seules mines de Potosi. On a peine à y croire. Mais cette débauche de richesse sera de courte durée.
Car sitôt le filon d’argent épuisé, les espagnols se sont empressés de lever l’ancre, les caisses remplies d’argent et les mains couvertes de sang. Aussi vite qu’elle s’était enrichie, Potosi décline. En 1825, la cité autrefois prospère est saignée, sa population a fondu à 9000 habitants. Une malédiction digne d’une plaie d’Egypte. Le cerro rico est devenu pobre (pauvre).
Les incas s’étaient toujours refusés à l’exploiter, peut-être à raison. Cette montagne est maudite.
Perverse, à l’image du symbole de la ville (voir photo ci-dessous), elle attire et repousse à sa guise ceux qui croient y trouver gloire et richesse. A la fin du XIX ème siècle, un filon d’étain y est découvert. On croit au renouveau, à la félicité retrouvée. Mais l’espoir est de courte durée. Le prix du minerai dégringole, l’Etat licencie à tour de bras : l’Eldorado n’était qu’un nouveau mirage. Maudite on vous dit.
Un renouveau précaire
Aujourd’hui, la ville a retrouvé une certaine vitalité. 145 000 habitants s’y activent. Le tourisme s’y est développé… jusque dans les mines. Car l’on n’a jamais cessé de creuser le cerro rico. Quelques 6000 mineurs continuent de s’y épuiser et de s’y tuer. Le gruyère de galeries creusées dans le cerro est un univers parallèle, un monde avec ses propres codes, ses propres températures (de 17 à 35°C) et son propre dieu. En l’occurrence son propre diable : El Tio (L’oncle). Il est le gardien de la mine, le protecteur des mineurs, le maître absolu en ces lieux. Il prend la vie des mineurs, distribue la bonne ou la mauvaise fortune comme bon lui semble. Travailler dans la mine, c’est respirer sa crasse, suer sa chaleur et souffrir de se mouvoir dans ses dédales.
Maléfique, il n’a que faire des bonnes actions, les sept péchés capitaux sont des délices exquis à son goût. Le mineur n’a pas à être charitable, il doit boire à se détruire le foie, il ne doit pas tendre l’autre joue, il doit fumer à s’en bousiller les poumons. La bonne fortune, la malchance, le vice, les qualités : toute l’échelle est inversée. Si un mineur meurt, c’est toute son équipe qui sera récompensé par un bon filon : un sacrifice si généreux !
Chaque mineur s’exploite lui-même : il travaille pour lui, autant qu’il le souhaite. Il doit seulement reversé 30% de ce qu’il gagne à sa coopérative, qui lui donne accès au filon, le reste est pour lui. Le système est archaïque. Chaque travailleur finance lui même son matériel : gants, bottes, casque, lampe, dynamite, il doit tout acheter. Tous les jours, il boit une lampée de son alcool à 96% et s’enfonce dans la mine le dos courbé, les pieds dans la boue. Le corps s’épuise vite, l’espérance de vie ne dépasse pas 45-50 ans. C’est le prix à payer pour mieux gagner sa vie qu’un professeur d’université ou un fonctionnaire.
Avec ou sans Tio, en 2016, Germinal est un quotidien bien réel.